Tu peux encore entendre sa voix chantonner à la cantonade le refrain de cette vieille musique des Beatles. Un groupe dont tu as bien du mal désormais à écouter la moindre mélodie, chaque son étant comme obéir à l’expression retourner le couteau dans la plaie. Les paupières closes, la joue collée contre la vitre légèrement froide, tu regardes défiler sous tes yeux les phares allumés des voitures allant à contre sens. Le bus dans lequel tu étais montée à la dernière gare routière prenait la direction de l’Oregon. Un état bien lointain de ton lieu de résidence habituel, loin de ta vie quotidienne. Depuis l’accident d’Adam tu avais l’impression de faire du sur place, repoussant toutes ces lourdeurs qui forgeaient un quotidien bien trop redondant. Tes proches s’accordaient dans leurs attentions à ton égard. Ton lien fraternel ne cessait de venir squatter à ton appartement comme pour s’assurer que la dépression ne gagne pas ton moral. Après tout, des deux tu avais toujours été la plus responsable, la plus relative également. Quand à ton entourage amical, il prenait un malin plaisir à t’empêcher de sombrer dans le sommeil. Adam te manquait et faire comme si de rien été ? Non tout cela demeurait pour toi tout bonnement impossible. Alors sur un coup de tête, un mardi martin de bonne heure tu t’étais munie de ta besace en cuir, de tes textes à traduire, de quelques vêtements de rechanges, de musique et des affaires personnelles. Un strict minimum avant de marcher en direction de la gare routière, d’acheter un ticket de voyage au hasard et de monter dans un bus en direction d’un nulle part ailleurs. En y songeant, ce fameux coup de tête te trottait à l’esprit depuis un bon moment à l’esprit. En vérité c’était un projet auquel toi et Adam aviez pensés lors d’un déjeuner organisé par son propre frère. Leur entente était tendue mais ils parvenaient tout de même à s’accorder, tout le contraire de ta relation avec Alden. En parlant du loup, tu remarques que ton cellulaire vibre dans ta main gauche et un bref coup d’œil au cadran indique sans grande surprise l’émetteur de l’appel en cours. Un appel que tu déclines en appuyant sur la touche. Il serait sans doute en colère, loin de comprendre tes motivations, fallait-il encore que tu les saisisses toi-même. Tant pis, vous en reparlerez au moment propice. Un soupire s’échappe d’entre tes lèvres laissant un filet de vapeur de buée se dessiner contre la vitre. La nuit s’est étendue sur le ciel d’une manière si rapide que tu mesures alors le temps que tu as passée à rêvasser, à réfléchir en parfaite solitaire.  Replaçant quelques mèches rebelles qui se sont échappée de ta tresse sur le côté, tu en profites pour remettre les écouteurs dans tes oreilles lorsqu’une main tenant un paquet de gâteaux apéritifs se glissent entre les deux sièges que tu occupes. Tu te retournes légèrement, les sourcils froncés pour constater que c’est finalement ton voisin de derrière. A vrai dire tu n’avais même pas calculé la présence d’un individu derrière toi de tout le trajet. Il était peut être monté à la dernière escale ? Ton manque de vigilance t’étonne, mais il te joue des tours et tu te promets d’en prendre bonnes notes. Tes lèvres se ferment en une ligne mince et d’un geste de la tête tu déclines sa proposition avant de replonger ton regard dans ton sac. « Tu ne me feras pas croire que tu n’as pas faim ? T’as rien mangé depuis des heures, du moins depuis que je suis monté dans ce fichu bus. ». Te dit-il d’un ton communicatif et moqueur à la fois. Tu poses alors ton attention sur lui, le toisant d’une expression silencieuse et méfiante à la fois. Sa tignasse légèrement en bataille lui donne une allure malicieuse et l’intensité de ses pupilles laisse présager un personnage franc et plutôt direct. On ne pouvait pas négliger son physique avantageux et agréable à regarder, pour autant lui avait pleinement conscience de son apparence ravageuse. « Tu observes souvent les gens qui t’entourent ? Parce que comme tentative d’approche ce n’est pas terrible. ». Ton intonation prend des teintes défensives et claires. Hors de question que tu te laisses faire par un homme et arriviste en plus. Tu secoues la tête jurant entre tes dents, l’inconnu se redressant de toute sa hauteur avant de venir s’installer à côté du siège que tu occupes. Le brun pose son sac entre ses jambes, accoudant confortablement sa tête sur l’appui-tête. Tu lèves les yeux au ciel, en le considérant d’une expression réprobatrice. « Je ne crois pas t’avoir demandé de prendre tes aises, alors bouge tes fesses cow boy. ». Son sourire de loup résonne en murmure comme pour ne pas déranger les autres passagers qui dorment. Finalement il n’est peut-être pas si mal élever. « Tiens, tiens. On est déjà intime pour que tu m’affubles d’un tel surnom ? ». T’interroges-t-il d’une voix charmeuse, malicieuse. Il s’avance encore un peu, posant son coude sur ton accoudoir, te toisant avec silence et attention. « Pas le moins du monde, j’ai juste pris bonne note de ton permis de conduire et vu d’où tu viens et ton comportement ça te va comme un gant. ». Il arque un sourcil en hochant lentement le visage alors que tu finis par mettre la main sur ton carnet de traduction. Contrainte de mettre ton sac à tes pieds, tu relis les quelques lignes pour savoir où tu en étais lorsque tu sens à nouveau sa présence encore plus proche. Il avance son propre portable doté d’une veilleuse. « Les texans ne sont pas tous mal élevés. Quoi qu’il en soit avec ça tu y verras mieux. ». Vos regards se rencontrent à nouveau mais cette fois en face à face, tel un aimant. Il esquisse encore l’un de ses sourires arrogants, emplit d’assurance et tu te mets à rire spontanément. Un fait qui ne t’était pas arrivé depuis des semaines. « Tu me diras plus tard ce qui te fait rire, ça sera une occasion d’apprendre à faire connaissance. Ezra. ». C’était loin d’être une demande, il était même sûr de lui. Il prend ta main dans la sienne, une prise chaleureuse et sincère à la fois. Prise quelque peu au dépourvue tu serres sa main. « Beth. ». Inutile de lui donner l’entièreté de ton identité, il n’en a guère besoin. « Et bien Beth jusqu’où vas-tu comme ça ? ». En plus d’être dotée d’un culot monstre et d’une audace déterminée, sa curiosité ne semblait être qu’une formalité. Tu fronces les sourcils, soupçonneuse avant de retirer ta main de la sienne. « En Oregon ça ne voit pas ?! ». Répliques-tu agacée tout en désignant l’avant du bus qui affiche la destination. « Je vois, je vois. On va être compagnon de route pendant un moment alors. ». Il se calle à nouveau confortablement dans son siège non sans te gratifier d’un sourire enjôleur presque amusé. Le voyage allait être long.